Mistwood: Tragique, cette toute petite tarentule qui tisse sa terrible toile sur mon tableau…
Après Pearlbrook (2018), Spirecrest, Bellfaire (2019) et Newleaf (2021), Mistwood est la cinquième et dernière extension du désormais légendaire Everdell. Les amis Bibz et Mooh avaient d’ailleurs écrit un bel article fort élogieux sur le jeu de base (élogieux… le mot est faible; disons plutôt : dithyrambique, larmoyant, exalté, et j’en passe). Si vous n’avez pas eu la chance d’en faire la lecture, c’est ici : https://www.asdesjeux.com/blogs/news/everdell-plus-que-du-carton-c-est-de-l-art
De mon côté, constamment dépassé par les nouveautés (et les nouvelles nouveautés qui remplacent les nouveautés-plus-si-nouvelles), je n’avais pas eu l’occasion de jouer aussi régulièrement à Everdell que je l’aurais souhaité (et certainement pas aussi souvent que Bibz et Mooh!) Quand l’As m’a suggéré de vous écrire un petit mot sur la dernière extension, Mistwood, je me suis dit : « Camarade, voilà l’occasion parfaite de réparer tout le tort que tu fais à ce jeu en le laissant prendre la poussière sur tes étagères ! » Ne reculant donc devant rien pour votre bon plaisir (et le mien), j’ai d’abord pris soin de dépoussiérer mon exemplaire d’Everdell et de rejouer quelques parties du jeu de base avant de plonger dans l’extension. Et quand j’ai commencé à lire le livret de règles de Mistwood, je me suis rendu compte que c’était une extension pas comme les autres : elle est conçue spécifiquement pour les parties en solo ou à deux joueurs. Qu’est-ce donc que ceci, me suis-je dit ? La boîte de base d’Everdell n’avait-elle pas déjà un mode solo où nous devions affronter l’infâme rat Paillasson ? Qui est donc cette araignée toute mignonne, avec son chapeau haut de forme, qui s’invite dans le paysage bucolique de nos animaux chéris d’Everdell ?
J’avais joué quelques parties du mode solo d’Everdell, que je trouvais assez correct, malgré quelques critiques. En effet, développer un mode solo réussi pour un jeu qui, à la base, est conçu pour 2 à 4 joueurs n’est pas une mince affaire. Il faut arriver à trouver le délicat équilibre entre le sentiment de jouer contre un véritable adversaire et la lourdeur de la gestion de l’automate. Dans certains jeux, le mode solo est une version trop simplifiée qui dénature les mécaniques et les stratégies, et qui diminue du même coup le plaisir qu’on en retire; d’autres jeux présentent un mode solo trop complexe (bonjour, manuel de règles solo de 64 pages) où l’on passe plus de temps à vérifier des règles et à jouer pour l’automate qu’on en passe à songer à nos propres tours.
Le mode solo de la boîte de base d’Everdell est, comme je l’ai indiqué plus haut, assez correct; il penche vraiment plus du côté de la simplicité que de la complexité : l’automate bloque certains espaces d’actions à chaque manche, et joue une carte chaque fois que nous en jouons une. Il n’a pas à respecter la plupart des règles du jeu (ni à payer pour ses cartes), ce qui accélère beaucoup sa gestion, mais nous donne un peu l’impression de jouer contre un robot qui triche. C’est surtout un prétexte pour lui faire accumuler des points contre lesquels comparer notre score final; mais si l’on veut avoir l’impression de jouer contre un vrai joueur, on reste un peu sur notre faim, disons-le. C’est là que Mistwood entre dans la danse : l’extension construit sur le mode solo du jeu de base, l’améliore, tente de lui donner un peu plus de variabilité et de personnalité à travers la mignonne araignée Tissenuit. En prime, même si vous n’avez pas l’habitude (ou l’envie) de jouer en solo, cette extension rajoute des cartes et des variantes que vous pouvez intégrer à vos parties habituelles.
Comment ça marche ?
On peut combiner Mistwood avec l’une ou l’autre des extensions antérieures du jeu. Il s’agit d’une extension modulaire (qui contient plusieurs mini-extensions qu’on peut choisir d’utiliser ou de laisser de côté, selon nos envies) dont l’intérêt principal est centré sur l’intégration de Tissenuit, l’araignée automate, qui prolonge et améliore le mode solo du jeu de base, mais qui peut aussi être employée pour ajouter un troisième joueur dans une partie à deux humains.
Avant de vous parler plus en détail du fonctionnement du mode solo, quelques mots sur les modules de Mistwood qui n’y sont pas reliés (il y en a quatre) :
À chaque saison propose des cartes Fermes alternatives qui remplacent les huit fermes du jeu de base. Ces nouvelles cartes offrent un choix de récompense chaque fois qu’elles s’activent.
Corrin Evertail est le héros légendaire fondateur d’Everdell. Cinq cartes à son effigie, très puissantes, sont ajoutées au jeu;
Les cartes légendaires de Mistwood sont des versions améliorées de bâtiments ou de personnages du jeu de base. On peut payer directement leur coût, ou les jouer gratuitement en remplaçant la carte appropriée dans notre ville;
De nouveaux pouvoirs uniques, s’ajoutant à ceux des extensions précédentes, permettant des parties asymétriques où chaque pouvoir unique oriente le joueur vers certaines stratégies.
Toutefois, le plat de résistance de Mistwood, c’est le Repaire de Tissenuit. Pour l’utiliser, on commence par mettre en place une partie pour deux (en solo) ou trois joueurs (dont 2 humains), et on place le nouveau plateau/aide-mémoire représentant le repaire de Tissenuit à côté du plateau principal. On choisit ensuite un niveau de difficulté (de 0 à 4) qui correspond à la rapidité à laquelle l’araignée accumulera des points au cours de son année à Everdell.
On prépare ensuite les paquets de cartes activités de Tissenuit. Ces cartes déterminent quelles actions effectue l’automate à chacun de ses tours, et sur quels espaces elle envoie ses jolies araignées-meeples. En effet, contrairement à l’automate du jeu de base, le comportement de l’araignée change au fil des saisons (tours) : au début de la partie, elle privilégie habituellement certaines actions (comme la collecte de ressources), mais plus la partie avance, plus elle bifurquera vers des actions plus payantes (comme récupérer des objectifs). Chaque fois que Tissenuit passe à une nouvelle saison, on lui ajoute quelques cartes qui lui permettront donc d’adapter son comportement au déroulement de la partie.
Tissenuit débute la partie comme les autres joueurs, avec deux « ouvrières » qu’elle enverra, au gré de ses cartes activités, quérir du bois, des pierres, de l’ambre ou des baies bien juteuses, tout ça en gâchant joyeusement tous les plans que vous étiez en train d’échafauder à la sueur de votre front, bloquant les espaces dont vous avez besoin, volant les cartes que vous convoitiez… tout ce qu’il vous fallait pour vous réconcilier avec les araignées, quoi ! Et plus la partie avance, plus elle aura de petites araignées-ouvrières à sa disposition pour vous nuire.
Pour couronner le tout, Tissenuit est elle-même représentée par un gigantesque meeple d’araignée (bien dodue, bien juteuse, comme vous les aimez) et certaines cartes activités vont l’envoyer gâcher la fête dans la Prairie aux cartes. Car lorsqu’elle visite la Prairie pour s’approprier l’une des huit cartes habituellement disponibles, elle bloque ensuite l’emplacement de sa grosse masse velue d’octopode effrontée, et empêche le renouvellement du marché dans l’espace occupé jusqu’à la fin de la saison, ne vous laissant que sept maigres cartes à votre disposition (généralement, celles dont vous n’avez pas besoin) !
Côté règles et gestion de l’automate, malgré la variabilité instaurée par le paquet évolutif de cartes activités, on demeure dans la simplicité. À son tour, Tissenuit pioche une carte de son paquet et effectue l’action qui correspond à la saison en cours. Elle n’engrange pas de ressources, n’a pas à payer le coût des cartes, qu’elle accumule au hasard dans sa « main » (ou plutôt, sa patte velue); conséquemment, la ville qu’elle construit (son tableau) se développe au hasard des cartes qu’elle pioche et, à moins d’un hasard fabuleux, n’est généralement pas un chef-d’œuvre de stratégie. C’est sans doute le prix à payer pour conserver une certaine fluidité dans la gestion du joueur automate. Cela fait aussi en sorte que, comme pour Paillasson, la chance (ou la malchance) peut lui faire construire des cartes très payantes très rapidement ou, inversement, tout un tas de cartes ne valant presque rien... *haussement d’épaules*, c’est la vie !
Pour ajouter plus de profondeur aux parties (mais aussi, disons-le, un peu plus de complexité dans la gestion de l’automate), Mistwood propose des modules facultatifs qui s’ajoutent au fonctionnement de Tissenuit : les personnalités, les plans et les complots.
Les personnalités donnent à Tissenuit un pouvoir spécial qui s’active lorsqu’elle visite la Prairie. En plus de voler une carte et d’empêcher le renouvellement du marché, elle étend ses toiles visqueuses sur toutes les cartes adjacentes, ce qui peut en augmenter le coût, les bloquer ou encore vous forcer à payer Tissenuit afin de les acquérir.
Les plans sont des effets à long terme dont profite Tissenuit pendant toute sa partie. Ils donnent généralement plus d’efficacité à certaines actions, ou encore lui octroient des points bonis lorsque les conditions prescrites sont remplies. Par exemple, le plan « Tissage de toile » permet à Tissenuit de gagner des points de victoire chaque fois que vous jouez une carte de type « prospérité ». Les plans vous forcent donc à modifier drastiquement votre approche du jeu : il vous faudra éviter le plus possible de déclencher les bonus de Tissenuit, au risque de vous faire engluer dans ses toiles (lire ici : perdre lamentablement) !
Finalement, les complots sont des événements qui surviennent chaque nouvelle saison. Plusieurs d’entre eux sont ponctuels (leur effet est immédiat) alors que d’autres demeurent en effet jusqu’à la fin de la saison. Tout comme les plans, les complots permettent souvent à Tissenuit d’engranger des points à certaines conditions, mais peuvent aussi bloquer des emplacements d’actions, des cartes du marché ou des cartes de votre main, voire même empêcher certains de vos bâtiments de s’activer… c’est vraiment difficile ! Inutile de dire que seuls les écureuils les plus courageux oseront se frotter à Tissenuit la Complotiste…
Graphisme et matériel
Ici, je serai bref, parce que je pense que Bibz et Mooh ont déjà tout dit dans leur billet sur Everdell. Andrey Bosley nous a habitués à une conception graphique de maître et à des illustrations magnifiques depuis la boîte de base en passant par les quatre premières extensions, et Mistwood ne fait pas exception à la règle. Notons simplement qu’il y a moins d’illustrations uniques dans Mistwood que dans le jeu de base ou les extensions précédentes (par exemple, toutes les cartes complot ont la même illustration).
La qualité du matériel est irréprochable : les cartes sont de bonne qualité et les pièces de bois sont fort jolies. Mention spéciale pour l’énorme figurine de Tissenuit, qui nous donne vraiment l’impression (visuelle!) de jeter son ombre horrible sur la verte prairie d’Everdell !
La taille du plateau supplémentaire (celui de Tissenuit) peut sembler un peu excessive; c’est qu’on a choisi d’en faire aussi un aide-mémoire pour accélérer la gestion de l’automate et éviter le recours au livret de règles. Il faut prévoir de l’espace supplémentaire sur votre table de jeu, et si vous avez aussi intégré d’autres extensions pour votre partie, vous risquez de vous sentir à l’étroit. Ceci étant dit, après quelques parties pour se familiariser avec le fonctionnement de Tissenuit, on pourrait tout à fait se passer de son plateau de jeu pour économiser de l’espace.
Alors… on en pense quoi ?
Posons tout de suite cartes sur table, si vous me permettez cette expression toute ludique : Mistwood s’adresse surtout aux fans-collectionneurs d’Everdell et à la communauté des joueurs solo. Mentionnons au passage que c’est une communauté qui s’est largement développée dans les cinq dernières années, pandémie oblige. La preuve en est qu'il y a peu d’éditeurs, en 2024, qui osent encore lancer un jeu sans en prévoir le mode solo, soit dans le jeu de base, soit dans une extension annoncée… Si vous êtes du type solo, il y a aujourd’hui une multitude de forums et de groupes Facebook destinés à ce passe-temps, pour à peu près tous les jeux… même ceux qui n’ont pas de mode solo officiel! Grâce aux réseaux sociaux, et pour emprunter les paroles d’un personnage de Michel Tremblay, les joueurs solitaires sont devenus « une gang de tu-seuls ensemble » !
Néanmoins, si vous n’êtes pas un joueur solo et que vous n’êtes propriétaire que de la boîte de base d’Everdell, Mistwood ne devrait probablement pas être votre premier choix d’extension à ajouter à votre expérience de jeu; vous risquez de rester sur votre appétit. Bibz et Mooh, nos experts incontestés, vous suggèrent plutôt de tourner votre regard vers Newleaf, qui rajoute beaucoup plus de matériel et ouvre davantage les possibilités qu’offre le jeu.
En somme, Mistwood est une extension bien conçue dont les nombreux modules offriront aux joueurs solitaires des parties plus variées, des défis considérables à relever et sans doute de nombreuses heures de divertissement.
On aime…
-La conception graphique impeccable, typique d’Everdell;
-La profondeur ajoutée au mode solo, qui donne davantage l’impression de jouer contre un vrai joueur;
-Le caractère modulaire de l’extension, qui nous permet de personnaliser la difficulté et la complexité des parties.
On aime moins…
-Le rapport qualité/prix pour celles et ceux qui n’aiment pas jouer en solitaire;
-L’espace nécessaire sur la table de jeu.
Everdell : Mistwood
Une extension pour 1-2 joueurs
10 ans et +
40-100 minutes
-Mat
Pour vous procurer : jeu de base Everdell, ou l'extension Mistwood, Pearlbrook, Spirecrest, Bellfaire ou encore Newleaf
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